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Bienvenue sur le blog de Timothée Gestin : Pasteur proposant de l'Eglise Protestante Unie de France (EPUdF), en poste aux Billettes (22 rue des archives, 75004 Paris) et à l'Ascension (47 rue Dulong, 75017 Paris). Vous trouverez sur ce blog des informations pratiques, des prédications, des articles croisant théologie et philosophie et des éléments sur la liturgie.

Pâques ou la résurrection de l'espérance

Icône de l'Anastasis (fresque murale de l'église Saint-Sauveur-in-Chora, Istanbul)

Icône de l'Anastasis (fresque murale de l'église Saint-Sauveur-in-Chora, Istanbul)

Prédication donnée à l'Ascension le 2ème dimanche de Pâques "misericordias domini", culte du soir.

Chers frères et sœurs,

En parcourant, ces jours-ci dans l’Ecriture au rythme du lectionnaire, les récits de l’annonce de la Résurrection et des apparitions du Christ Ressuscité à ses disciples, on ne peut qu’être frappé par la ressemblance qui s’établit entre les réactions des disciples et la nôtre. Devant la nouvelle de la résurrection de leur maître, devant même l’apparition de leur Seigneur, les disciples manifestent tout à la fois doute, désarroi et trouble, silence, incrédulité tantôt surprise tantôt moqueuse. Voyez plutôt : Dans l’évangile de Luc nous lisons : ces paroles leur apparurent comme des niaiseries et ils ne crurent pas ces femmes (Luc 24, 11) ; dans Matthieu : Quand ils virent [Jésus], ils l’adorèrent. Mais quelques-uns eurent des doutes (Matthieu 28, 17) ; Dans Marc : Elles sortirent toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes mais elles ne dirent rien à personne à cause de leur effroi (Marc 16, 8) ; et, à nouveau, dans Luc que nous avons lu : Comme dans leur joie, ils ne croyaient pas encore et qu’ils étaient dans l’étonnement (Luc 24, 41). N’avons-nous pas déjà dans l’Evangile toutes les réactions que nous pensions proprement « modernes » ? Des réactions que nous identifions comme « modernes » ? La résurrection sème le doute, le trouble, l’incrédulité, l’étonnement et même la moquerie. Hier comme aujourd’hui. Or nous avons tendance à penser que ces états d’âmes et ces difficultés devant la résurrection sont le propre de notre époque, qu’elles découlent de notre place dans l’histoire, d’une époque pétrie (croit-on !) par la science et rationalisme. Nous entendons souvent en effet ici ou là, même dans l’Eglise, tenir ces propos : aujourd’hui on ne peut pas croire. Aujourd’hui ! Aujourd’hui… sous-entendu « hier » il était plus facile d’y croire.

Nous entendons souvent en effet ici ou là, même dans l’Eglise, tenir ces propos : aujourd’hui on ne peut pas croire. Aujourd’hui ! "Aujourd’hui"… sous-entendu "hier" il était plus facile d’y croire.

Oh ! Bien sûr ! Le « croyable disponible » (Ricœur) de jadis n’est pas le même qu’aujourd’hui : les représentations qui constituent ensemble notre vision du monde ne sont plus les mêmes. Clément de Rome citait, par exemple, comme un animal réel le Phénix renaissant de ces cendres : cet animal témoignait dans son ordre naturel, croyait-il, de la possibilité d’une résurrection… Certes nous n’avons plus les mêmes représentations. Mais ce serait faire fausse route que de penser qu’une représentation du monde est plus propice qu’une autre à la croyance en la Résurrection du Christ, en chair et en os. Je m’en tiendrai à deux raisons pour extirper cette idée reçue de nos esprits. Une raison venant du dehors de l’Eglise, et une autre venant de l’intérieur, de l’Evangile lui-même. D’abord, il faut mesurer la force inouïe de la critique philosophique de la religion dans l’Antiquité. Nul besoin de la critique des Lumières ni même de l’athéisme du XXème siècle pour contester ces droits à la religion et en particulier à la croyance en la Résurrection. Les philosophes païens, dont Celse fait figure de proue, n’ont cessé de dire la folie de la foi chrétienne, et ce à partir de leur propre représentation du monde. Hier, philosophiquement, il n’était pas plus facile de croire à la résurrection. Une seconde raison s’ajoute à cela : ce sont les réactions de recul des disciples, diverses et nombreuses, que nous trouvons dans les évangiles et que j’ai rappelées tout à l’heure. Les disciples de Jésus, face au Ressuscité, face aux plaies qu’ils constatent sur ses mains, ses pieds et son côté peinent à croire. Ils doutent, ils restent troublés, étonnés et même, dans l’évangile de ce jour, incrédules. Hier, religieusement, il n’était pas plus facile de croire.

Certes, frères et sœurs, les raisons de douter ne sont pas les mêmes aujourd’hui qu’hier. Mais hier comme aujourd’hui la résurrection n’est pas croyable, pas facilement en tout cas. Peut-être pourrions-nous alors arrêter de dire : aujourd’hui ça n’est pas croyable. C’est chercher une excuse qui nous dispense de penser et c’est aussi, sans peut-être le vouloir, mépriser nos pères dans la foi en en faisant des incrédules un peu simplets quoique sympathique.

Si donc il n’est pas plus facile de croire à la résurrection hier qu’aujourd’hui, il nous faut alors chercher les raisons de notre incrédulité au-delà de notre environnement historique et social. Il faut les chercher jusque dans le cœur de l’homme. Il faut le faire, sans mépriser nos raisons particulières, pour éviter de nous tailler, dans la précipitation, une foi à notre mesure, une foi qui nous convienne, à notre image. N’évitons pas la question : quelle est la racine de notre incrédulité devant la Résurrection ?

L’évangile de ce jour offre justement une piste tout à fait surprenante. Elle se cache dans le verset 41. Je vous lis notre traduction mais il faudra faire un peu de grec pour comprendre. Comme dans leur joie, ils ne croyaient pas encore et qu’ils étaient dans l’étonnement, Jésus leur dit etc. Le Christ Ressuscité s’adresse à ces disciples alors qu’ils sont certes étonnés mais qu’ils ne croient pas encore. Mais le grec est assez précis et donne la cause de l’incrédulité des disciples : le grec dit comme ils ne croyaient pas encore à cause de leur joie ou du fait de leur joie. Autrement dit, la joie des disciples est la cause de leur incrédulité : c’est parce que les disciples ressentent de la joie pendant que Jésus s’approche d’eux et qu’il leur montre ses mains et ses pieds, c’est parce qu’ils sont submergés de joie qu’ils demeurent incrédules et qu’ils en restent à un étonnement mêlé d’admiration. Entendez bien : la joie des disciples est la source de leur refus ou de leur incapacité à croire complètement en la résurrection.

La joie des disciples est la source de leur refus ou de leur incapacité à croire complètement en la résurrection.

Voilà qui est paradoxal. Voilà qui, pourtant, nous rejoint aujourd’hui. Nous vivons à l’ère du « trop beau pour être vrai ». Je veux dire que nous vivons à l’époque de la fin des idéaux, dans un temps où la joie est suspecte et traîne hélas avec elle un goût de faux-semblant. Dans notre monde postmoderne, l’espoir est trop beau pour être vrai. La joie ne peut être associée à la lucidité ; elle ne peut être, au mieux, qu’une illusion aussi utile que fragile. Nous vivons à l’ère du nihilisme et la joie n’est pas soluble dans une telle atmosphère. Prenons Nietzsche, dont sinon la pensée du moins l’interprétation, a tant compté pour la société française depuis au moins les années 70. Pour Nietzche, le nihilisme est la fin de toutes croyances au sens où l’homme n’a même plus la force de croire à quelque chose de beau, de vrai, de bon. Les valeurs suprêmes se dévalorisent et avec elles les institutions qui les portaient : l’Eglise, le Parti, la Patrie. Par conséquent, la joie – qui indique dans le cœur de l’homme la présence de quelque chose d’ultime et de décisif – la joie – qui est tout autre chose qu’un simple plaisir – ne peut plus être que l’indice d’une tromperie en devenir. Ressentant la joie monter en nos cœurs, nous sommes pris d’un réflexe intérieur et nous entendons : ne te laisse pas prendre, cela ne peut être vrai, rien ne vaut à ce point-là. Du même coup, nous sommes tentés de suivre Nietzsche et d’envisager une autre planche de salut : forger soi-même ses croyances, tenter de se faire croire sans y croire tout à fait. Bref, accepter que l’illusion soit notre viatique. Et en particulier, réussir à bâtir l’illusion de notre propre valeur pour nous dresser dans l’existence et ainsi vivre malgré la réalité du néant qui nous entoure. Oui, dans notre monde désenchanté, la joie ne peut s’établir : elle demeure un corps étranger, flottant dans l’air, insaisissable.

Mais ce que nous disons de notre temps n’est pas sans résonance avec les premiers disciples : comme pour nous, la joie est pour eux la cause d’un mouvement de recul et source d’incrédulité. Voici ce que nous pourrions dire alors non sans vraisemblance d’eux comme de nous : l’espoir et la crainte forment toute la pâte dont nous sommes faits ; mais l’espérance, l’espérance qui pourrait produire en nous une joie telle qu’elle serait alors le fondement tranquille et sûre de toute une vie, cette espérance passe l’homme. Elle est au-dessus de lui. Comme un mirage.

L’espoir et la crainte forment toute la pâte dont nous sommes faits ; mais l’espérance, l’espérance qui pourrait produire en nous une joie telle qu’elle serait alors le fondement tranquille et sûre de toute une vie, cette espérance passe l’homme.

Voilà frères et sœurs la puissance de l’Evangile, voilà frères et sœurs le Christ Ressuscité qui vient à nous, comme il vint jadis au milieu de ces disciples, voilà qu’il vient dans la gloire de sa résurrection pour dissiper ce lourd mensonge, pour faire éclater ces paroles et cette atmosphère pesante qui interdisent l’espérance, voilà que le tombeau ouvert découvre la supercherie de ce réel prétendument sans espoir : le néant, la mort, l’ennui, la dépression, l’absence de valeur, tout ce qui menace de nous engloutir a été balayé par la victoire du Christ Ressuscité. Voilà que Jésus, relevé d’entre les morts, nous montre que la vie a vaincu la mort, que l’amour a vaincu le nihilisme, que la joie peut légitimement s’ancrer dans nos cœurs d’humains déboussolés et travailler les fondations de notre être jusqu’à renverser la noirceur qui nous avait enveloppée. Oui le Christ vient repousser nos idées noires, collantes et sans vie en commençant par nous dire : pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi ces raisonnements s’élèvent-ils dans votre cœur ? En nous le disant comme pour démasquer le désespoir et pour révéler son illégitimité, après Pâques.

Cependant, vous l’avez vu, cette question ne suffit pas, pas plus que la monstration de ses stigmates : le Christ doit aller plus loin, il doit ouvrir les Ecritures avec ses disciples, comme il doit nous ouvrir les Ecritures. C’est là ce que je vous disais lorsque j’étais encore avec vous : il fallait que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes. Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Ecritures.

Le Christ ouvre l’Ecriture à ses disciples car il faut opposer un discours à un discours, une prédication à une autre. On nous prêche le désespoir, on discourt sur une prétendue lucidité du néant, il nous faut donc entendre une parole plus puissante que celles-ci. Une parole qui puisse toucher notre cœur et y implanter une assurance. Voilà ce que sont les saintes Ecritures pour nous : la Parole de Dieu qui nous donne la grammaire qui permet d’articuler ce qui, sans elle, serait demeuré indicible : l’espérance. Voilà en quoi gît l’autorité des Ecritures : elles nous autorisent à croire, elle légitime en nous la joie que nous sentons lorsque le Christ s’approche, elles nous disent que nous avons raison d’espérer en Lui, elles nous assurent qu’Il nous apporte le salut, elles nous tirent du néant en nous jetant dans les bras du Christ. 

Voilà ce que sont les saintes Ecritures : la Parole de Dieu qui nous donne la grammaire qui permet d’articuler ce qui, sans elle, serait demeuré indicible : l’espérance.

Alors frères et sœurs, ouvrons ce vieux livre, ce vieux livre parfois choquant, souvent obscur, embrouillé des lectures dont nous l’avons recouvert et pourtant indispensable pour notre salut. Ouvrons la Bible, écoutons la Parole du Seigneur ! Mais ouvrons-la comme elle fut ouvert pour les disciples : ouvrons-la pour y rencontrer Jésus-Christ vivant pour les siècles des siècles. Ouvrons-la seul dans notre chambre ou à notre bureau, écoutons-la au culte en nous attendant à voir Jésus surgir au milieu de notre vie et nous rejoindre sur notre chemin. Non pas un Jésus d’église, non pas un Christ idéal mais le Ressuscité, celui que nous avons toujours à rencontrer de nouveau, celui qui toujours se donne à nous, Celui qui nous donne sa vie, Celui qui nous aime jusqu’à mourir pour nous.

Puissions-nous frères et sœurs, devant les Ecritures avoir la même espérance et la même prière que les disciples : Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Soyons-en sûrs : le Christ ouvrira notre intelligence pour comprendre les Ecritures et nous pourrons alors confesser notre espérance avec les disciples : Et nous nous avons cru, et nous avons connu que c’est toi le Christ, le saint de Dieu (cf. Jean 6).

L’Esprit-Saint mettra en nos cœurs une joie puissance et sûre, qui nous conduira jour après jour jusqu’auprès du Père, pour l’éternité, faisant ainsi de notre existence un itinéraire de la joie. Viens Seigneur Jésus, viens bientôt ! Amen !

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