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Bienvenue sur le blog de Timothée Gestin : Pasteur proposant de l'Eglise Protestante Unie de France (EPUdF), en poste aux Billettes (22 rue des archives, 75004 Paris) et à l'Ascension (47 rue Dulong, 75017 Paris). Vous trouverez sur ce blog des informations pratiques, des prédications, des articles croisant théologie et philosophie et des éléments sur la liturgie.

Dimanche des Missions : devenir des témoins dans son propre pays (Marc 16, 15-20)

Le Christ envoie ses onze apôtres en mission (Enluminure, XIème s.)

Le Christ envoie ses onze apôtres en mission (Enluminure, XIème s.)

Frères et sœurs,

Nous fêtons aujourd’hui, selon la tradition de notre Inspection luthérienne, en ce dernier dimanche de janvier, le dimanche des Missions. Et nous nous mettons ainsi en Eglise, notre paroisse et toutes les paroisses de l’Inspection luthérienne de Paris, à l’écoute du Christ qui nous commande : Allez dans le monde entier et prêchez la bonne nouvelle à toute la création (Marc 16, 15). Il y a peut-être cinquante ans ou plus, cet appel de Notre Seigneur nous aurait fait penser aux missions de par le monde, aux missionnaires envoyés dans les cinq continents, ou plutôt les quatre autres continents. Nous aurions pensé à la mission au loin. Aujourd’hui, nous entendons cet appel du Christ d’une façon un peu différente : nous n’avons plus besoin d’aller au loin pour trouver des hommes et des femmes n’ayant jamais encore entendu la Bonne Nouvelle. Nous vivons dans un pays désormais largement déchristianisé. De sorte que c’est au près, devant nos portes que l’appel du Christ résonne : allez dans le monde entier et prêcher la bonne nouvelle à toute la création. Voilà que le Christ nous parle de chez nous, de notre quotidien, de notre pays, de nos concitoyens et de nos proches.

Allez dans le monde entier et prêchez la bonne nouvelle à toute la création (Marc 16, 15).

Ce changement signifie d’abord pour nous deux choses. Premièrement, que nous ne pourrons pas déléguer à d’autres, en les envoyant au loin, la mission à laquelle le Seigneur nous appelle. Nous devons être, nous-mêmes – et pas seulement les pasteurs ou les prédicateurs reconnus –, nous devons devenir des témoins de la Bonne Nouvelle. Cela, notre Eglise Protestante Unie nous le demande, relayant l’appel du Christ, car elle se déclare elle-même « Eglise de témoins ». Nous avons donc une question à nous poser : comment témoigner de notre foi ? Deuxièmement, cela implique de réfléchir à la représentation que nous avons de la mission de l’annonce de l’Evangile. Une seconde question s’impose donc : pour quelle raison devons-nous témoigner ?

            Envisageons d’abord la seconde question : pour quelle raison devons-nous témoigner ? Ou plutôt : pourquoi le témoignage de notre foi, le partage de notre confiance en Dieu, fait-il nécessairement partie de notre foi ? Pourquoi ne pourrait-on pas croire pour soi sans témoigner à d’autres, en déléguant, par exemple, cette tâche à d’autres ?

Partons d’un écueil de l’histoire de l’Eglise. Pourquoi a-t-on lancé des missions massives au XIXème en Afrique et en Asie ? Pour accompagner l’entreprise de colonisation de ces territoires et de ces peuples. Les hommes ont pu donc croire qu’il fallait témoigner de sa foi pour apporter les lumières de la civilisation. Sans mépriser l’ensemble des missionnaires, car il s’est trouvé des hommes et des femmes d’un dévouement remarquable et d’un amour du prochain exemplaire, et sans faire d’amalgames, nous avons vu les limites et même les fautes auxquelles a conduit une telle conviction. Non, nous n’annonçons pas l’Evangile par conviction politique. Cela devrait d’ailleurs nous avertir de ne pas miser sur la rechristianisation de la société française en prétendant ainsi la sauver de ces maux. Alors que nous envisageons la mission, et en regardant le passé de l’Eglise, nous devons garder en notre cœur cette parole de Notre Seigneur : Mon royaume n’est pas de ce monde (Jean 18, 36). Je le dis parce que c’est un risque qui pèse aujourd’hui sur l’Eglise : je veux dire user de l’Evangile pour bâtir une identité qui n’est pas spirituelle mais qui est sociale et politique…

            D’ailleurs, à ce titre, il nous faut nous rappeler d’une chose. Quel est à votre avis le verset phare de la mission dans l’Evangile ? Quel passage de l’Ecriture nous parle-t-il le mieux de l’annonce de l’Evangile au monde et spécialement à ceux qui ne connaissent pas encore Jésus-Christ ? Beaucoup d’entre nous répondront spontanément par le passage que nous avons lu ce matin ou bien par la finale de l’Evangile de Matthieu : allez faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit (Matt 28, 19). Assez vite, dans la perspective de la colonisation, ce verset peut être entendu comme un appel à étendre l’empire de l’Evangile sur le monde. On y voit l’intérêt du Christ, l’intérêt de l’Eglise, l’intérêt des chrétiens mais les nations n’y existent qu’en tant que futures converties et non par elles-mêmes. (Il s’agit évidemment d’une mauvaise lecture de ce verset, mais elle fut faite et elle s’impose assez facilement hélas aux lecteurs que nous sommes, nous qui vivons après les XIXème et les XXème s.). Quel est le verset phare de la mission dans l’Ecriture ? Qu’en pensaient les chrétiens des temps passés, qu’auraient dit nos Pères dans la foi ? Ils auraient répondu toute autre chose. Ils auraient cité, comme les Pères de l’Eglise, les Actes des Apôtres, et le rêve de Paul qui voit dans un songe un Macédonien l’appeler à l’aide. Je vous rappelle ce passage : Pendant la nuit Paul eut une vision : un Macédonien debout le suppliait en disant : Passe en Macédoine, viens à notre secours ! Après cette vision de Paul, nous avons aussitôt cherché à nous rendre en Macédoine, concluant que Dieu nous appelait à y annoncer l'Évangile (Ac 16, 9-10). Si c’est ce passage qui nous aide à penser la mission, tout change. Remarquez : c’est le macédonien qui appelle au secours. C’est le païen qui appelle les disciples du Christ et non l’Eglise qui envoie sans qu’on ne lui demande rien. Cela change car cela nous permet de voir le sens profond de la mission : il s’agit de répondre à l’aspiration profonde de tout homme et de tout peuple, aspiration que nous avons aussi, aspiration qui est la soif de la rencontre de Dieu.

Annoncer l’Evangile, ce n’est pas dominer, ce n’est pas réduire l’autre au même, ce n’est pas établir un empire pour diriger les consciences et les comportements. Non annoncer l’Evangile, c’est porter secours.

           Annoncer l’Evangile, ce n’est pas dominer, ce n’est pas réduire l’autre au même, ce n’est pas établir un empire pour diriger les consciences et les comportements. Non annoncer l’Evangile, c’est porter secours. Porter secours en sachant voir chez l’autre la même détresse qui fut la mienne, c’est porter secours en compatissant à la soif de Dieu qui traverse l’humanité, qu’elle en ait conscience ou non.

Voilà qui nous permet d’affiner la réponse à notre question : pourquoi est-il nécessaire pour nous de témoigner de notre foi ? Pourquoi cela n’est-il pas une option ou une tâche réservée à quelques-uns ? Témoigner n’est pas une option parce qu’avoir pitié d’autrui n’est pas une option. Témoigner n’est pas une tâche spécialisée car compatir à la douleur de l’autre est ce qui fait notre humanité à tous.

Je le reformule autrement : en connaissant l’Evangile, nous avons connu Jésus-Christ et Jésus-Christ nous a fait connaître le Dieu de l’Univers comme notre Père, comme un Dieu bon et compatissant, qui chemine avec nous chaque jour. Un Dieu de grâce qui nous pardonne quelle que soient nos pensées, nos paroles et nos actes. Un Dieu qui nous donne de tenir debout dans l’existence, sans ployer sous nos fautes et nos manquements. Un Dieu qui nous a donné en Jésus-Christ une identité toute neuve et immuable : nous sommes, dans le regard de Dieu, des êtres aimés d’un amour infini et inébranlable. Un Dieu qui par son Esprit témoigne à notre esprit, d’une façon irrévocable, que nous sommes enfants de Dieu et que rien ne peut nous faire tomber de sa main. Voilà qui nous donne de vivre, voilà qui nous donne de traverser la douleur et la peine, voilà qui donne sens à nos joies et nos réussites, voilà qui nourrit notre espérance face à la maladie et à la mort.

… Et voilà ce dont beaucoup sont dépourvus autour de nous. Nous vivons dans un monde de solitaires juxtaposés, de misère spirituelle criante, de paralysie existentielle, de souffrances telles qu’elles font perdre le sens de la vie et le but de l’existence. Et, en face de ces hommes et de ces femmes, que nous côtoyons jour après jour, nous garderons le trésor de notre foi pour nous ? Et nous ne tenterons pas de suggérer la source de notre confiance à ceux qui nous entourent ? Ne serions-nous pas inhumains en agissant de la sorte ? Car nous sentons bien que le salut en nous n’est pas un simple « placebo ». Que le salut de Dieu, s’il nous rejoint dans un contexte particulier, dans une époque donnée, une culture donnée, une histoire personnelle etc., ne dépend pas des conditions dans lesquelles il s’incarne mais qu’il s’adresse à notre humanité, à notre être le plus profond et qu’ainsi il s’adresse à tous les hommes sans exception.  Annoncer l’Evangile n’est rien d’autre que d’annoncer aux hommes ce qui nous permet de tenir en cette vie, ce qui a renouvelé de fond en comble notre existence jusqu’à la rendre non seulement supportable mais aussi aimable : annoncer l’Evangile c’est témoigner de l’amour de Dieu pour soi avec la conviction que Dieu aime tous les hommes de la même force qu’il m’a aimé.

Témoigner de sa foi, proclamer l’amour de Dieu à toute la création, ce n’est pas prendre en charge le destin spirituel de mon prochain. Ce n’est pas lui imposer de rencontrer mon Dieu tout de suite et de la même manière. Non c’est simplement, et dans l’humilité, dire ce qui me fait vivre, en laissant l’autre s’en saisir et en respectant absolument sa liberté de conscience.

Mais ici j’ajoute une chose immédiatement, avant d’approfondir plus tard : témoigner de sa foi, proclamer l’amour de Dieu à toute la création, ce n’est pas prendre en charge le destin spirituel de mon prochain. Ce n’est pas lui imposer de rencontrer mon Dieu tout de suite et de la même manière. Non c’est simplement, et dans l’humilité, dire ce qui me fait vivre, en laissant l’autre s’en saisir et en respectant absolument sa liberté de conscience. Et en faisant cela, il ne s’agit pas d’énoncer une vérité essentielle de la philosophie : l’homme est libre et nul ne pourrait sans dommage violer sa conscience. Il s’agit en fait de proclamer un élément capital de notre foi : nous ne saurions amener quiconque à Christ, seul l’Esprit-Saint travaille les cœurs. Et son travail est souverain, nous n’avons pas à le prendre en charge. Dieu rencontre chacun selon ses voies, lesquelles nous sont cachées. D’ailleurs regardez l’Ecriture : les conversions d’André sur les bords du Lac, de Pierre après le Chant du coq, de Paul sur le chemin de Damas, de l’Eunuque sur la route d’Éthiopie sont-elles identiques ? Non, bien sûr que non ! Respectons notre prochain dans le chemin qui est le sien, témoignons et confions le reste à Dieu dans la prière. Mais surtout, que tout cela soit guidé par la charité et non l’envie de convertir : la seule conversion qui doit nous importer est la nôtre, et elle doit se renouveler chaque matin !

Nous ne saurions amener quiconque à Christ, seul l’Esprit-Saint travaille les cœurs. Et son travail est souverain, nous n’avons pas à le prendre en charge. Dieu rencontre chacun selon ses voies, lesquelles nous sont cachées.

Revenons alors à la première question que nous avions posée : comment témoigner de notre foi ?

Le témoignage rendu à l’Evangile de Jésus-Christ est une école du dépouillement et de l’humilité. Il ne s’agit pas de mettre en place ce que nous pourrions appeler un témoignage de la gloire. Je veux dire un témoignage de la victoire permanente de la foi sur les épreuves de la vie. Un témoignage où nous nous montrons sous notre meilleur jour et dans lequel être chrétien rime avec vie réussite et succès. Un témoignage dans lequel le chrétien toise le païen et se repaît de sa prétendue « immoralité », de sa supposée « perte de repère ». Si nous versons dans un tel témoignage, témoignage de la gloire et la supériorité, alors nous ne pourrons pas témoigner de Jésus-Christ : lui le Fils de Dieu, Tout-Puissant et pourtant pendu au bois de la Croix pour nos péchés.

Au contraire, témoigner de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ demande de l’humilité. L’humilité de se présenter dans ses failles et ses fautes, dans ses craintes et ses appréhensions, dans son angoisse même, radicalement et entièrement dépendant de la grâce de Dieu. Le témoin de Jésus-Christ n’est rien d’autre qu’un mendiant de la grâce, qu’un homme qui vit intégralement suspendu à la Parole de Dieu, sans rien à lui. Voici un verset qui peut éclairer cet école de l’humilité, c’est la réponse de Pierre à l’homme boiteux de naissance qui demandait l’aumône : je n’ai ni argent ni or mais ce que j’ai je te le donne, au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche (Ac 3, 6). Voilà un témoin qui sait ne rien pouvoir apporter par lui-même à son prochain, mais qui sait tout devoir de Jésus.

Voilà donc la difficulté du témoignage rendu à l’Evangile : il me faut parler de moi car l’Evangile n’est rien d’autre que le Dieu tout-puissant qui vient à mon secours pour me pardonner et me sauver. Mais il me faut parler de moi sans pourtant autant centrer mon discours sur moi. Il me faut me dire en renvoyant à un autre. Voici un autre verset qui peut nous éclairer : Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom, donne la gloire, pour ton amour et ta vérité. (Ps 115, 1). Or pouvoir faire cela, parler de soi de sorte que l’on conduit à l’œuvre d’un autre en soi, c’est-à-dire donner un récit de soi dans lequel nous ne sommes pas le personnage principal, pouvoir faire cela suppose d’avoir vécu une expérience bien particulière. Une expérience qui me fait passer d’un être recroquevillé sur lui-même à un être qui témoigne de Dieu. Un être qui accepte de se montrer comme totalement dépendant de Dieu. Un être dans lequel l’orgueil du self-made man existentiel et la jalousie de l’égocentrique n'est plus. Bref, un être rendu humble par le Seigneur. Vous le voyez, le témoignage est en fait l’œuvre de toute une vie. Cela ne se limite en rien à une simple occasion ponctuelle. C’est une conversion de soi où nous apprenons à nous dire autrement, à nous comprendre autrement, à se saisir de notre existence autrement : non plus au centre mais rejoint par un autre, non plus seul mais aux côtés d’un autre, non plus triomphant mais pardonné. Témoigner de l’Evangile c’est se dépouiller car ce n’est pas montrer sa force mais montrer la puissance de Dieu dans notre faiblesse (cf. 2 Co 12, 10).

C’est une conversion de soi où nous apprenons à nous dire autrement, à nous comprendre autrement, à se saisir de notre existence autrement : non plus au centre mais rejoint par un autre, non plus seul mais aux côtés d’un autre, non plus triomphant mais pardonné. Témoigner de l’Evangile c’est se dépouiller car ce n’est pas montrer sa force mais montrer la puissance de Dieu dans notre faiblesse (cf. 2 Co 12, 10).

Demandons-nous alors à qui témoigner ? Je pense que nous devons d’abord témoigner de l’Evangile à nos amis. Pas seulement à nos amis mais d’abord à ceux-là. Car cela peut être pour nous une bonne école. D’abord, l’ami est celui qu’on aime. Cela nous rappelle qu’hors de l’amour, aucun témoignage ne vaut. Il faut aimer celui à qui l’on parle de Jésus ou se taire. Sinon, nous ne serions que des cymbales qui retentissent en vain. Ensuite, parce qu’on ne peut se cacher devant son ami véritable. L’ami, c’est celui à qui l’on ne ment pas, à qui l’on ne dissimule rien. Et donc on ne peut embellir la foi, se présenter comme un saint etc. devant celui qui nous connait, avec nos failles, sans faux-semblant et là en n’ayant rien à apporter pour convaincre, pour nous montrer le plus fort, nous pourrons dire dans la nudité de votre vie et le défaut le plus complet de vos mérites : j’ai placé ma confiance en Dieu. Quand nous serons passés par ce dépouillement-là, qui sera d’ailleurs aussi un approfondissement de notre amitié car ce témoignage sera dépréoccupé de sa réception favorable ; quand nous serons passé par-là, nous aurons appris comment témoigner à tout autre et à toute la création.

 

Seigneur, donne-nous un cœur humble, donne-nous un cœur plein d’amour,

Donne-nous une juste audace et un profond respect de notre prochain,

Change notre cœur afin que nous puissions témoigner de ton Evangile, de ton Pardon

Et de ton Amour plus fort que la mort. Fais de nous tes témoins fidèles. Amen.

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